samedi 11 décembre 2010

Rendez-nous la Monáe !

Ce post sera long, car son sujet paraît inépuisable. Forte de collaborations prestigieuses, Janelle Monáe, Américaine de 25 ans originaire du Kansas, s’est frottée à la Cigale pour défendre The ArchAndroid, son album kaléidoscopique mêlant soul, funk, r’n’b, rock et musique classique. Un moment orgiaque, d’une grâce inouïe. 



Une étoile. C’est la juste appellation pour décrire ce petit bout de femme qui a illuminé la Cigale jeudi soir. De par son passage éclair, la lumière qui jaillit de sa voix et de sa crinière, et sa prestation, brillante et sans orage, Janelle Monáe est foudroyante. 

C’est en mai que l’Américaine éclot et frappe les esprits. Après Metropolis, The Chase Suite, EP passé quasi inaperçu en France au moment de sa sortie (2008), elle se fait un nom avec The ArchAndroid (2010), production ovniesque truffée d’influences et qui ne ressemble à rien d’identifiable. Adulée par Big Boi (la moitié de Outkast prête sa voix et son flow sur Tightrope), elle assure sa réputation en conviant des pointures sur le disque : Saul Williams, Deep Cotton ou encore Of Montreal. Y’a pire comme featurings. La jeunette (25 ans depuis peu) aurait pu se laisser bercer et berner par de telles pointures, et par la même occasion y laisser son talent et son cran. C’est mal la connaître. Monáe maîtrise tout, de bout en bout. Sans écraser ses musiciens et collaborateurs. Mais The Archandroid, c’est elle et elle seule. 

Une constellation ovniesque

«Je ne suis pas différente pour être différente. Je tiens par-dessus tout à produire la musique la plus honnête possible», déclare-t-elle au Figaro. Et comment. Sur scène plus qu’ailleurs, l'extraterrestre soul livre une prestation absolument dantesque, unique et jouissive.  Un choc esthétique. 

Mes propos paraissent sûrement surfaits, exagérés. Compréhensible, surtout après un post sur le dithyrambe dans la presse culturelle. Ouais. Sauf que là, tous les superlatifs sont mérités. Il convient simplement de les utiliser avec parcimonie, car porter Janelle Monáe aux nues, la considérer comme la créture soul du XXIe siècle, ce n’est pas lui rendre service. Sa récente nomination aux Grammy Awards, qui peut la rendre célèbre aux yeux du grand public, ne sera sans doute pas facile à gérer. Monáe a beau avoir intégré la prestigieuse American Musical Dramatic Academy, elle ne veut pas tenir les seconds rôles. Elle joue vrai. Ce qui frappe avant tout chez cette perle noire brute de décoffrage, c’est la sincérité qui se dégage de sa musique. Pas de chichis, pas d’effets superflus, pas de paroles complaisantes (la miss réussit l’exploit de ne pas adresser un seul mot au public – en furie – sans paraître prétentieuse ni divaesque.

« Can we get much higher ? », clame Kanye West sur son (phénoménal mais pas révolutionnaire) album My Beautiful Dark Twisted Fantasy (2010). Janelle Monáe répond par l’affirmative. Pendant une grosse (mais insuffisante) heure, elle emporte tout le monde dans la stratosphère. Puissiez-vous  me croire. Si j’étais du genre à m’enflammer pour tout et n’importe quoi, je n’aurais certainement pas débuté ce blog par une review mi-fraise mi-kiwi d'un concert moyen. Mais quand un tel cataclysme musical croise ma route, hors de question de céder le passage.  Et puis, il vrai qu’il est plus facile de parler de ce qu’on aime de ce que l’on déteste (quoique). Mais les excès sont à bannir anyhow.

Aussi sûre d’elle et assurée que Janelle Monáe puisse paraître, une grande part du succès de son concert tient à la présence et à l’énergie folle de ses musiciens, choristes et danseuses. Une troupe survoltée et généreuse. Guitare électrique, batterie, cuivre et samples s'entremêlent sans agresser l’oreille. Le tout est savamment dosé, sans paraître sclérosé et trop préparé. On ne peut accuser la belle d’un perfectionnisme suranné : elle atteint d’ores et déjà la perfection.


L’émancipation comme source de liberté absolue

Au-delà de la musique, le show est visuellement un bonheur pour les yeux. Un écran géant est disposé pour diffuser des extraits de films et des pas de danse en noir et blanc. Années 1930. Sur Locked Inside, Janelle l’intemporelle chante : 

She's quick to fight
For her man but not her rights
Even though it's 3005
When will we end this genocide?

La violence, la dépendance, la liberté et le chaos : voilà des thèmes clés de la diva qui utilise ses textes comme autant de plaidoyers pour un monde émancipé. Metropolis de Fritz Lang et ses ouvriers broyés par la machine apparaissent à l’écran, tandis que Monáe et sa troupe éclaboussent de finesse et de rage. A maintes reprises, les danseuses occupent la scène vêtues de costumes de nonnes hébétées. Tenant la note et dansant comme une reine, l'étoile mime un coup de pistolet contre elles, et met son monde K.O. Sa cible ? Les fanatismes, les frontières, les restrictions. Le public l’acclame à chaque interlude. Public métissé : bobos et rebeus se soudent et dansent comme un seul homme. 

Pendant les vingt premières minutes, Monáe enchaîne sans s’arrêter les quatre premiers titres de son album. Energie folle, ambiance (déjà) voltaïque, ce concert sera explosif ou ne sera pas. Alors oui, il y a de quoi être agacé par les élans de voix de la chanteuse, son énergie, ses pas de danse, son maniérisme. L’aisance, la plénitude, la perfection agacent. Et c’est exactement ce qui se dégage de sa prestation. The ArchAndoid a la part belle, évidemment. L’album a beau être dense et long (18 titres), le concert ne durera guère davantage. Les titres imparables s’enchaînent (Faster, Locked Inside, Come Alive, Tightrope), mais de grands morceaux sont absents (Neon Valley Street et surtout l’inénarrable BeBopByeYa). Sans manquer, pour autant. Tightrope est formidable, même sans Big Boi. Sur Come Alive, elle soigne son profil rock, sous une ligne de basse et une batterie enragées. A noter la remarquable reprise de Charlie Chaplin, Smile. Touche-à-tout sans paraître fourre-tout. 

Le moment le plus irréel du concert survient lorsque Janelle, à la tenue impeccable, se glisse dans la fosse telle une féline affamée. Elle tient la corde (vocale), le public reprend juste après, et peu à peu, sous une lumière tamisée, elle parvient à faire asseoir toute la fosse, hypnotisée par la douceur et le pouvoir de séduction de l’artiste. Le moment, beau et émouvant, tient du religieux et de l’inconcevable.

Irradiante de classe et de style, Janelle Monáe en a encore sous la semelle. D’où une certaine désinvolture qu’elle peut dégager, par moment. Et c’est bien là le plus inquiétant : elle avait de quoi tenir deux bonnes heures. La bonté tient moins de la quantité que de la qualité du don. Mais aurait-elle été aussi belle, aussi gracieuse, aussi intouchable des heures durant ? La marque des génies, c’est de briller sans en mettre plein la vue. 

9.5/10

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