mardi 25 janvier 2011

Une bête à chair frêche

Le réalisateur Yves Jeuland a filmé feu Georges Frêche lors de sa campagne pour les régionales, entre janvier et mars 2010. Il en ressort un portait sans détour, mais qui vaut incontestablement le détour. 



Rarement une scène d’ouverture sans parole n’aura donné le ton d’un film de manière aussi parlante.  Georges Frêche, silencieux et claudiquant, apparaît  serein mais assez mal en point, quittant son domicile pour prendre place à bord de sa voiture de fonction. La canne à la main. Celle qui lui permet de marcher malgré sa jambe souffrante. Celle qui le mènera jusqu’à sa victoire écrasante aux régionales 2010. 
Depuis 2004 et sa première investiture à la tête du Conseil régional du Languedoc Roussillon, Georges Frêche a fait son chemin. De son action politique plébiscitée par les septentrionaux à ses « dérapages » verbaux qui lui valurent l’ire des dirigeants socialistes de Solférino – et d’une partie des citoyens, et les polémiques qui ont suivi, Le président n’éclipse rien. Ni faussement provocateur, ni vraiment laudatif, ce portrait éclaire de manière brillante la personnalité au final peu connue de ce Tarnais d’origine. Les polémiques qui collent à la peau étiquetée de Georges Frêche sont remises sur le devant de la scène : les harkis, les Blacks en équipe de France, la tronche pas très catholique de Laurent Fabius, rien n’y échappe. Mais là n’est pas l’originalité de ce qui aurait pu constituer un énième portrait à rebrousse-poil d’homme politique. Sans brosser son sujet dans le sens du poil, Yves Jeuland parvient à mettre Georges Frêche à nu. A la rend monstrueusement humain. Le défi était de taille
Connu pour ne pas avoir la langue dans sa poche, Le Président réussit à rendre Frêche digne d’intérêt, surtout lorsque ce dernier se tait. Sans surprise, on le voit cracher son venin sur Arnaud Montebourg (« ce gros con »), Hélène Mandroux (« Non mais tu as vu sa gueule ? ») ou encore Martine Aubry. Le bulldozer Frêche casse la baraque et dépasse les clivages, parvenant à séduire un Jean-Pierre Elkabach béat et à conquérir une électrice de droite.
 Mais c’est aux moments où Yves Jeuland filme son sujet tut que Le Président se révèle vraiment et atteint des sommets. Lorsque Frêche apparaît en robe de nuit avalant un yaourt nature entouré de son staff qui parle politique, ou encore quand il déjeune seul à la table de sa cuisine, il tombe le masque, sans faux semblant. Les silences, les doutes, les colères intérieures, les plans silencieux sur l’Hôtel de région à Montpellier : tel est le Georges Frêche qu’aucune caméra de télévision n’avait su saisir jusque là. Mais l’enfant terrible de la politique n’en reste pas moins un homme de parole. Et cela sans voix-off ni interview directe de l’intéressé.
La parole, certes, mais aussi l’action. Il connaît la chanson, les clés de la réussite et ne se gêne pas pour pousser la chansonnette. Georges Frêche parcourt la France, d’un meeting au fin fond de l’Hérault aux côtés d’un groupe de sympathisants, jusqu’aux médias nationaux friands de nouvelles joutes verbales. Il sait que la route est rude. Mais franchit les obstacles. La canne à la main. La mine triomphante. Et son équipe, toujours présente, indissociable de son raz-de-marée.
Georges Frêche délivre une remarquable leçon de politique : (re)maniement du verbe (mauvaise langue mais sans langue de bois), mensonges délibérés (« J’ai la mémoire courte », s’esclaffe-t-il), attaques misogynes. Tous y passent. Et peu y réchappent. Mais aussi : écoute du peuple (« Je suis peut-être populiste, mais aussi et surtout populaire », se fend-t-il), patience et abnégation. Toute la difficulté réside dans cet équilibre, brillamment mis en lumière par ce documentaire. Et à aucun moment, le réalisateur ne prend partie. Il n’y a pas deux poids, deux mesures. Il n’y a qu’un poids démesuré : Georges Frêche. Lourdingue, assurément, mais surtout lourd (politiquement) et dingue (humainement). Arrogant et sensible. Horripilant et attachant. Monstrueusement humain, en somme. Claudiquant, Georges Frêche était, éreintant il est, plus vivant que jamais il restera. 


Fiche du film : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=186377.html


8.5/10



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