mardi 14 juin 2011

Primavera Sound Festival - J 1

Les chiffres du Primavera Sound Festival ont de quoi donner le tournis : 229 concerts, près de 140 000 visiteurs, 3 sites, un espace de 73 800 m2, des milliers de bières consommées,  des millions d'applaudissements. Pourtant, loin de se perdre dans un gigantisme tourbillonnant, cette édition n'a gravité autour que d'une seule planète : la musique. Récit.



Jeudi 26 mai

Plantons le décor : un espace de concert de 73 800 m2 (presque le double de l'an dernier), une bonne dizaine de scènes, un cadre proche de l'Eden avec la mer bleuâtre à l'horizon… Bien avant de franchir le fameux Parc del Forum (là où ont lieu la plupart des concerts), le karma est bon. Même dispersée dans un site frôlant la démesure (comptez presque une demi heure pour passer de la scène Pitchfork au Llevant, situées aux extrémités du Parc), la foule impressionne, disparate et cosmopolite. Certains se sont déplacés du Canada, d'Israël, du Brésil… Les raisons de l'engouement ? Une programmation prestigieuse devançant les festivals estivaux, rassemblant autant les grosses pointures internationales que des groupes de scène locale prometteurs.

Jeudi, 19 h. Après une heure passée à obtenir le précieux sésame d'entrée au site et pris la température du lieu, direction l'ATP Stage pour écouter la sensation du moment : Cults. Le couple Madeline Folin et Brian Oblivion signe un set en totale adéquation avec l'atmosphère ambiante : frais, rétro et enjoué. Ode à la reverb et au xylophone qui structurent une bonne partie du concert. C'est plaisant. Une bonne ouverture de festival, disons. La foule hoche de la tête, puis sautille aux accords de l'imparable Go Outside, bande-son parfaite aux soirées enfumées sur une plage d'été.

Fin du concert. Très vite, le dilemme : "On suis large, il reste 10 min avant le concert d'Of Montreal. Et si on allait recharger sa carte ?". En effet, le staff du festival a mis en place une carte magnétique qui permet de se sustenter en bières et nourriture. Inutile de préciser que ce système est un véritable fiasco, les stands étant victime d'une panne, les cartes ne sont pas utilisables. Et tant pis si, le ventre plus gros que le porte-monnaie, on a mis tous ses sous dans ce petit rectangle blanc. 

Les picotements dans le ventre oubliés, on court vers la grande scène où les Américains d'Of Montreal sautent déjà de partout. Avec eux, le credo pourrait être : "Coucou, c'est le carnaval" tant leur pop foutraque et bariolée sent le bordel mal organisé. Et tant mieux. Faisant la part belle à leurs albums Hissing Fauna Are You the Destroyer et Skeletal Lamping, le show surprend par sa folie maîtrisée. Ils ont beau courir dans tous les sens, Kevin Barnes et ses musiciens ne font pas n'importe quoi. L'auditoire suit, en redemande. Expansif et généreux, le groupe livre d'excellentes versions de Plastis Wafers, très groovy et She's a Rejecter, très rocky. Seul bémol : l'absence de The Past is  a Grotesque Animal, dont la prestation en concert est connue pour dépasser les sommets de la version studio. C'est dire. 

Le concert de Big Boi, la moitié d'Outkast, se fera dans la file d'attente de la buvette. Tant pis. Mais le monsieur envoie, et même à des mètres de la scène, les bombes Shutterbugg et You Ain't no DJ déboîtent. Cults, Of Montreal, Big Boi : variété des genres égale merveille. Le beat dans les pompes, le concert à venir s'annonce classieux. The Walkmen arrive sur la scène Pitchfork (qui niveau hype n'aura d'égal). Déception immédiate. Encore temps d'aller du côté de Grinderman ? Non, trop tard. Brouillons, trop consensuels, les New-Yorkais enchaînent les titres, mollement. Rien ne se déchaîne. Oui, il y a bien Angela Surf City qui sauve de la léthargie  mais rien n'y fait : on s'ennuie ferme. Tout miser sur quelques bons tubes pour contenter le public n'est jamais très fortuit. 

D'un côté, cela arrange. Car qui prédirait que Caribou allait retourner littéralement la foule de Primavera ? Dan Snaith et les siens délivrent une prestation prodigieuse, totalement accortes et électriques. Servi par un remarquable batteur, Caribou réussit le pari d'allier précision mathématique, sonorités enragées et lubie électronique. L'album Swim réunit tout cela. Swim performed live va bien au-delà. Kaili et Found Out sont des compagnons d'échappées sonores, précieux et fidèles. Ces morceaux sont d'une consistance telle qu'on sait d'avance qu'ils ne peuvent s'égarer. On nage en plein bonheur, mais quand arrive Odessa, tube plus que tube archi-remixé, les plombs dévissent. Comme espéré, le titre entraîne dans une obnubilante ivresse cosmique, touchant les tripes et libérant les mouvements comme jamais. Le sommet ? Pas encore. Débarque dans nos tympans une version orgasmique de Sun. Grandiose. Pas besoin d'en rajouter. Il est 2 heures et des poussières. La nuit nous appartient.

Revigorée, la masse humaine se dirige gaiement vers la grande scène, où pour rien au monde il ne faudrait rater la performance de Flaming Lips. D'emblée, Wayne Coyne prévient : "Sérieusement, je tiens à vous mettre en garde contre ce concert. Il peut nuire à la santé". Il est vrai que le jeu de lumières particulièrement soigné mais étourdissant a le potentiel pour lancer une épidémie de Parkinson. Mais l'heure est à la fête, et ça se sent. Durant le concert, Coyne assène des dizaines de "Come on, fuckers" à un public pourtant bien réveillé. Il va même jusqu'à le bousculer frontalement dans sa bulle géante, marchant dans la fosse comme un prophète. Accompagné par une pléthore de musiciens et de choeurs féminins, Flaming Lips semble hanté par une mélancolie funeste. Comme si la fin n'était plus très loin. La teneur psychédélique du groupe est pourtant intacte. Parmi les moments forts : l'apocalyptique See the Leaves dont les guitares déstructurées laisse place à des cordes liquéfiées de manière assez grandiose. Yoshimi Battles The Pink Robots célèbre la relation de l'artiste et ses fans, reprenant en choeur les psaumes de Wayne Coyne. La communion atteint son paroxysme à la toute fin du set avec un Do You Realize ? somptueux et déchirant. Il n'en faut pas plus pour réaliser que Flaming Lips est un groupe à part, et que cette première journée de festival, très convaincante, se clôt sur une magnifique architecture de sons et d'émotions.


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